PAR JEAN MAURIAC
Vémars
est désormais inséparable du souvenir de François Mauriac.
La
vieille maison du Val d’Oise, qui fut celle de Madame Lafon, sa belle-mère, le
parc aux arbres centenaires s’insèrent dans l’univers mauriacien, aux côtés des
«maisons fugitives » girondines, des pins et des vignes de sa Guyenne
natale. Non qu’il y plaça jamais ses héros (à l’exception de ceux du
« Fleuve de feu » et de la « Paroisse morte ») mais
simplement parce que, dans la deuxième partie de sa vie, il aima Vémars, il y
séjourna souvent, au point de délaisser, au moins tout à la fin de son
existence, un Malagar devenu trop lointain, au climat qu’il jugeait, l’été,
« abominable » et peut-être chargé de trop de souvenirs, de trop
d’amour et de trop de souffrances.
C'est
à Vémars que François Mauriac entendit son dernier rossignol, son dernier
coucou, « qui chantait dans le jardin et dans les années», qu'il respira ses
derniers lilas. Et les dernières photos que nous gardons de lui ont été prises
dans ce jardin de Vémars — vaste béret basque ou chapeau de paille, lourd
manteau chiné, couverture sur les genoux — attentif toujours aux odeurs, aux
bruits, aux couleurs de la campagne, assis dans un fauteuil au milieu d'une
prairie, sous des tilleuls bruissant d'oiseaux. « Ce beau jour d'été, dans un
jardin du val d'Oise, où dès trois heures je peux m'asseoir et même rechercher
le soleil... », a-t Il écrit à quelques jours de sa mort.
C'est
à Vémars qu'il fit ses derniers pas, jeta un dernier regard sur le ciel et les
arbres, au moment de partir pour Paris et aller mourir, quelques jours plus
tard, le 1er septembre 1970, dans la chambre la plus humble du plus vétuste des
hôpitaux parisiens.
François
Mauriac eut jadis, à l'époque du « Fleuve de feu » (1923), de cruelles paroles
pour le décor vémarois, cette « campagne
empoisonnée d'engrais et où tournent
les corbeaux à peine plus noirs que
le ciel autour des instruments
aratoires émergeant de la boue ».
Plus
récemment, alors que l'on construisait L'autoroute du Nord, il a dénoncé, dans
un
«
Bloc-notes » célèbre (mai 1964), l'agonie, ici, à Vémars, de la nature. Il
n'empêche : pour lui, le jardin aux arbres immenses demeurait intact, « gouffre
odorant », « lac d'odeurs, grâce aux lilas que le soleil ne dévore pas en
quelques jours, comme à Malagar ».
C'est
de ce soleil dévorant, de l'embrasement des fins d'été girondines, que Vémars
l'avait délivré. Et cela depuis longtemps :
« Dans ce Pays du Valois, écrivait-il avant la guerre, l’été n'est que le trouble confluent du printemps
de l'automne. Les dernières cerises que
nous mangeons sont mouillées d'une
brume qui déjà donne au matin l'odeur
de la rentrée. Même au soleil, je ne
puis m'étendre sur la prairie sans
être saisi du froid de l'argile (…) »
François
Mauriac devait connaître à Vémars lorsqu'en 1950 la maison devint la sienne,
les mêmes joies — celles de l'éternelle jeunesse, que jadis à Malagar : la
joie, après le prix Nobel, de bouleverser de fond en comble la maison, de se
débarrasser du décor « bonbonnière du Second Empire », dont il se
moquait dans une lettre à Marcel Proust («Lettres d'une Vie »), et d'y planter
le sien fait de murs blancs et des tableaux qu'il aimait et dont, indéfiniment,
il changeait la place. Joie de transformer un vieux potager abandonné en un
petit bois qu'il baptisa : la forêt. Il surveillait la vie des pins vémarois
comme, jadis, celle de ses cyprès de Malagar, avec le même amour. Et, comme à
Malagar, il planta une allée de peupliers d'Italie ... Mais ce qu'il préféra
peut-être dans Vémars, ce fut à la fin de sa vie ce paysage qui ne souvenait
d'aucun visage détruit, une maison qu'aucun de « ses » morts n'avait habitée,
où ses grands-parents, ses parents, ses frères et sa sœur n'escortaient plus de
chambre en chambre, comme à Malagar.
Il
fut heureux dans son cabinet de travail, «
en haut de la maison avec une vue
adorable sur le Valois », dans le jardin « merveille de fraîcheur, de paix, de solitude », ce jardin
d'où il découvrait le cimetière voisin ancré en pleine argile, où il décida, en
août 1958, de faire creuser sa tombe et où il repose pour l'éternité auprès de
sa femme, presqu’à l'ombre des
arbres de « sa » forêt.
Septembre
1985
Publié avec l'aimable autorisation de Jean MAURIAC