C'est en 1859 qu'Auguste Bouchard, arrière grand-père de Jeanne Mauriac, acquiert le fief de La Motte . Il entreprend aussitôt la construction de la maison puis entame un patient travail de regroupement foncier que poursuivent son fils Léon, puis sa petite-fille Léonie Lafon.
Les premiers contacts de François Mauriac avec La Motte au lendemain de son mariage lui sont agréables, mais son acclimatation avec le Valois sera longue.
L'âge aidant, accablé par la chaleur parfois étouffante de la Gironde qui l'a vu naître, il appréciera de plus en plus le climat tempéré de la plaine de la Vieille-France.
Il aime retrouver à Vémars sa belle-mère Léonie qu'il affectionne et l'ambiance familiale où ses quatre enfants se mêlent aux cousins Gay-Lussac . Jeanne et lui viennent ici en fin de semaine et prient le dimanche en l'église paroissiale.
Mais Vémars est aussi le lieu où il connaît quelques grands moments de sa vie. Premier écrivain français résistant à l'occupant, gaulliste de la première heure, il trouve ici une semi- clandestinité et éprouve à distance l'immense joie de la libération de Paris.
Il réside aussi à Vémars lorsqu'à l'automne 1952 est annoncé son Prix Nobel de Littérature.
Les années passant, il séjourne de plus en plus à Vémars, où il rédige en tout ou partie ses dernières oeuvres.
Jean Golinelli
Viennent maintenant deux articles du Figaro, où l'on voit un François Mauriac détendu, accueillant, loin de l'image qui lui est ordinairement attribuée.
2 - 2 LE
FIGARO
Magnifique
article, particulièrement inspiré, de J.-A. Janvier paru en août 1953, dans la
rubrique
Ecrivains
en Ile-de-France
Dans sa vieille maison de Vémars,
au cœur d’un pays « de pluie et de
betteraves »
François Mauriac goûte le calme et la
tranquillité.
Aux limites du
« pays de France » et du Valois cher à Gérard de Nerval, entre
Survilliers et Le Mesnil-Amelot, le petit village de Vémars se blottit contre
son église.
Partout
des pommiers, des blés, des betteraves…
A
la sortie de la localité, vers Choisy-aux-Bœufs, un haut mur percé de
meurtrières et que recouvre un ample manteau de lierre et de glycine. Derrière,
une élégante demeure carrée, crépie de vieux rose et tout entourée
d’hortensias. Çà et là, des massifs d’arbustes, de troènes. Au milieu du gazon,
un flot pourpre de pétunias ruisselle d’un puits…
Ici,
loin des ragots moisis et des coups de Jarnac a posteriori aime à venir se détendre François Mauriac.
v
Il est onze heures.
Je surprends l’auteur de Thérèse
Desqueyroux alors qu’il joue au grand-père avec son petit-fils Gérard, premier Mauriac qui a dans les veines du
sang de Proust et de Rostand (1)…
Un corps qui trottine
dans un complet gris. Un visage d’ascète qu’éclairent, sur les tempes, quelques
fils d’argent. Des paupières qui ne laissent filtrer qu’un grain d’œil marron, souvent
découvert à plein dans le rire qui détend tous ses traits. Et, ce qui
m’enchante, des espadrilles bleues, chaussures de l’intimité…
De longs doigts
blancs que Van Dyck eût souhaité à ses princes au col de dentelle. François
Mauriac me tend la main comme une épée…
v
Nous entrons.
C’est
le silence d’une vieille maison au milieu de la nature et plein d’une vie
profonde : dans le salon s’alignent les portraits de famille. Partout, de
vieilles et belles gravures rappellent le souvenir de Bordeaux, ville natale de
François Mauriac.
Partout aussi des livres…
- Ils me dévorent…
C’est
au second étage que travaille le Prix Nobel. Une pièce sobre qu’égaie seulement
une bibliothèque. Sur le bureau, une machine à écrire portative…
- J’ai transformé en bureau cette pièce il n’y
a guère. C’était une chambre… La vue y est magnifique (2).
Au soleil levant,
Mortefontaine et les coteaux du Valois. Au couchant, des plaines qui ondulent à
perte de vue sous le poids de la moisson proche. Au Nord, le regard plonge sur
les vieilles maisons du village, avec, comme toile de fond, la masse blanche du
château des Carneaux, berceau des Bouchard, dont descend Madame François
Mauriac (3).
- Les aïeux de ma femme ont quitté cette
demeure en 1848. Mais, « pris du mal du pays », ils ont fait bâtir le
logis où nous sommes vers 1850 (4). Dans les environs, on dit que des cosaques
sont enterrés dans le parc… Ce qui est certain, c’est que les Prussiens ont
occupé le domaine en 1870 ; le plancher porte encore en certains endroits
la marque des feux qu’ils firent alors ! Ce furent ensuite les Allemands
en 1940…
L’écrivain vient ici
depuis son mariage passer quelques jours presque chaque semaine. Cette région, de pluie et de betteraves, il la détestait durant les premières années…
- Aujourd’hui, je me
suis pris à l’aimer. Je ne recherche pas les endroits pittoresques. C’est le
calme que je désire. Ici nous sommes à trois quarts d’heure de Paris, mais à 5
ou 6 km de la gare. Il n’y a pas de rivière, pas de guinguettes, pas de
touristes… On y vit tranquille et le climat y est idéal pour moi. Voilà
pourquoi j’ai pris l’habitude d’y venir en week-end…
v
François Mauriac se
lance sur un divan. D’un revers de la main, il enlève son chapeau léger et
découvre son front où la vie et la pensée rayonnent au large. Volubile,
fiévreux, affectueux, admirable, avec des gestes et des démarrages
d’enthousiasme, il croise ses mains, puis les sépare. Ses doigts ne tolèrent
pas l’inaction, sœur de la paralysie. Sa sveltesse sèche, ses détentes en
hélice, toute sa personne exprime toutes les audaces.
Nous parlons. De ses
enfants et du Figaro. De son œuvre et de Vémars.
De la Libération qu’il a vécue
ici : au moment même où il l’écoutait à la radio – lire l’inoubliable
éditorial qu’il avait consacré le 25 août 1944 dans Le Figaro LE PREMIER DES NÔTRES, les Allemands
pénétraient dans la propriété ! Il dut aller chercher refuge chez Emile
Roche (5), alors son voisin…
- Jamais je n’oublierai l’angoisse
ressentie alors.
Neuf ans ont passé.
Aujourd’hui, le problème marocain tourmente François Mauriac. Ah ! Le
Maroc ! Les yeux s’arrondissent de stupeur. Les bras retombent :
- Je suis comme qui aurait chatouillé un
museau et qui aurait vu se dresser un monstre… Ce que je demande, c’est tout
simplement le rétablissement des libertés républicaines et
« humaines », si j’ose dire.
v
Nous sortons. A
petits pas rapides, l’auteur du Nœud de vipères me révèle les 4 hectares de son
magnifique domaine. D’abord les deux vergers à travers lesquels il me pilote,
gourmet :
- Voici les poiriers qui donnent les meilleures poires…
Ensuite le parc où il
passe de longues heures et qu’il agrandit sans cesse en plantant là des pins pour protéger du vent, ici des peupliers
pour cacher ces pylônes.
- Je suis d’un pays où les arbres – sauf les pins, ne poussent pas,
aussi je les aime beaucoup…
Voici, minuscule, le
petit parc labyrinthe aménagé par Jean Mauriac au temps de ses culottes
courtes ; voilà le trou (immense) creusé par Claude et Jean pour voir le centre de la terre…
Au bord d’un chemin
s’alignent des stères de bois coupé. Restes d’un des plus vieux arbres du
domaine, qui a été foudroyé par l’orage la nuit même où François Mauriac
recevait le prix Nobel.
Au travers des
feuillages, on aperçoit le clocher de Vémars. Et aussi deux bâtiments délabrés.
- Une petite ferme qui nous appartient.
Elle tombe en ruines. Je vais la faire restaurer…
v
François Mauriac
déborde d’optimisme et d’idées constructives. Innombrables sont ses projets.
Pour les mener à bien, il envisage des séjours plus longs à Vémars.
- … Pour travailler sérieusement à une
œuvre littéraire, il faut avoir l’occasion d’y consacrer de longues périodes.
Or je ne puis que difficilement m’absenter aussi longtemps de Paris. Sauf
peut-être pour Vémars qui est à quelques trois quarts d’heure du Figaro…
Peut-être ainsi les
innombrables admirateurs du Prix Nobel de Littérature auront-ils la surprise de
voir réapparaître la si curieuse silhouette de Thérèse Desqueyroux, déjà suivie dans Ce qui était perdu et La fin
de la nuit…
J.-A. Janvier
(1) Claude Mauriac épouse en 1951 Marie-Claude Mante, petite-nièce
de l'écrivain Marcel Proust et arrière-petite-fille d'Eugène Rostand.
(2) Lire la lettre à Denise Bourdet du 17 août 1951.
(3) A la sortie de Vémars vers Saint-Witz
(4)
Consulter l’ouvrage "La Motte nouvelle
mairie de Vémars" de Jean Golinelli, disponible au Musée.
(5) Homme politique et journaliste français (1893-1990).
2 - 3 LE FIGARO
Huguette Debaisieux chez
François Mauriac
dont la tour d’ivoire est à 28 kilomètres de la tour Eiffel
Vémars, 6 août.
Je m’attendais à le rencontrer dans les
pins des Landes et il m’a donné rendez-vous sous les ombrages de
l’Ile-de-France. François Mauriac trahit son pays natal pendant le mois d’août
pour Vémars, à 28 kilomètres de Paris. Il a suffisamment décrit le climat
étouffant et les orages des provinces du Sud-Ouest pour que l’on comprenne
cette préférence.
Et puis maintenant, il a acquis une
philosophie des loisirs paisibles que bien des estivants en mal de bougeotte
pourraient lui envier. Il me montre en riant, l’œil mi-clos, un dessin de Sempé
évoquant l’atmosphère des rudes journées de Saint-Tropez :
- Voilà tout ce à quoi j’échappe…
Les hommes de lettres ont bien de la
chance. Ils n’ont pas le souci des vacances inédites. Du moment qu’ils sont au
calme, qu’ils n’entendent pas le bruit des voitures et qu’ils peuvent lire, ils
sont heureux. Leurs vieilles maisons sont des tours d’ivoire que n’entame
aucune préoccupation touristique. Celle des Mauriac n’a ni poutres apparentes
ni vue exceptionnelle, mais son rideau d’arbre est fermement tiré sur
l’effervescence estivale.
Seuls ses petits-enfants apportent à
l’écrivain l’air de l’étranger. Ils reviennent d’Angleterre par avion et cette
indépendance le remplit d’admiration :
- Moi, à douze ans, j’étais une moule.
Je n’aurais même pas osé prendre le train sans mes parents.
Mais, que pouvait-on faire à Malagar
dans sa jeunesse ? Les adolescents ne disposaient d’automobiles pour se
déplacer et le futur académicien n’avait qu’un goût modéré pour la bicyclette.
Il affichait même une position farouchement anti-sportive. Avec du recul, cet
état d’esprit est la grande honte de sa vie. Par
réaction, il pare maintenant les athlètes du maximum de vertus même s’ils n’ont
pas de grandes préoccupations intellectuelles. Ainsi Michel Jazy, l’autre jour
à la télévision, qui affirmait sans complexe n’avoir jamais le temps de lire,
lui paraît tout à fait digne de sympathie.
- Il n’a jamais rien appris par les
livres mais il n’a pas été déformé par eux.
Si c’était à refaire, oui, pourquoi
pas, il ferait du sport. Mais lequel ? Nous avons joué au jeu des
possibilités.
Le cheval ? C’est un animal trop
grand, il lui donne le vertige.
L’eau ? Il préfère ne pas y
penser. C’est un trop mauvais souvenir. Dans sa jeunesse, on n’allait à
Arcachon que pour mourir. Les familles dont les enfants fragiles atteints de
phtisie partaient de la poitrine louaient
dans la forêt de vastes villas tristes pour essayer, le bon air aidant, d’y
sauver leurs infortunés héritiers.
Alors l’automobile ? Il s’est
passionné, en son temps, pour la fameuse course Paris-Madrid qui dut s’arrêter
à Bordeaux tellement elle fut une hécatombe. Cela lui a donné à réfléchir.
Mais tout cela fait partie d’un autre
monde. Il préfère arrêter là l’énumération :
- Vous voyez que je ne suis pas doué… A
part la marche…
J’ai senti cependant que ces
considérations l’avaient touché.
En me quittant, il a mis son béret,
chaussé des après-ski et est parti à l’assaut de son jardin.
Vémars, 6 août, de notre envoyée spéciale,
Huguette Debaisieux
2 - 4 JUILLET 1962 : UNE FÊTE FAMILIALE À VÉMARS
LES CENT ANS DE MADAME LAFON
LE FIGARO
LA BELLE-MÈRE DE FRANÇOIS MAURIAC
FÊTE SON CENTIÈME ANNIVERSAIRE
Vémars, petit village de Seine et Oise,
tout proche de Paris, compte, depuis hier, une centenaire : Madame Marc
Lafon, née le 17 juillet 1862.
Madame
Lafon, qui est la belle-mère de François Mauriac, était entourée de ses deux
filles, Mme Roger Gay-Lussac et Mme François Mauriac, de son gendre, de ses
petits-enfants et arrière-petits-enfants.
Elle
a reçu, à l’occasion de son centième anniversaire, les compliments du conseil
municipal et de la population de Vémars.
Nous
adressons à la centenaire l’hommage de la maison tout entière et l’expression
de notre fidèle respect.
FRANCE-SOIR
29
juillet 1962
CETTE CENTENAIRE A UN GENDRE CÉLÈBRE :
FRANÇOIS MAURIAC
Mme Marc Lafon, belle-mère de
François Mauriac, a fêté hier ses 100 ans, dans son château de Vémars (Seine et
Oise).
Les 500 habitants du village ont
défilé chez elle pour lui apporter des fleurs. A tous, en effet, elle a appris
quelque chose dans les années passées : aux garçons, le catéchisme, aux
filles, la couture.
Toutes les semaines, elle se fait
lire, par son petit-fils Jean Mauriac, 35 ans, le Bloc-Notes de l’Académicien
français. Et elle ne vit que dans l’attente du prochain.
Elle se réveille cinq fois par
nuit pour faire une petite collation.
Ses six petits-enfants et treize
arrière-petits-enfants lui ont offert une pièce montée réalisée par un
pâtissier de Senlis, mais ils ont, en vain, cherché une petite figurine à
placer au sommet représentant une centenaire: ils n’ont trouvé que des
premières communiantes ou des mariées.
- C’est une lacune, a dit François Mauriac. Il faut prévoir cela, les gens vivent de plus en plus vieux !
2 - 5 JULES, LE JARDINIER
Jules Woets, né en 1912,
entre comme jardinier à Vémars en 1935, d’abord au service de Léonie Lafon,
puis de Jeanne et François Mauriac. Il meurt en 1981.
« Jules était mon
ami »
Jean Mauriac évoque le
souvenir de Jules avec émotion :
« Il était entré au
service de la famille Lafon bien
avant le début de la deuxième guerre mondiale … C’était un homme du Nord, de
Saint-Omer, et son père était lui-même jardinier aux Carneaux, domaine de la famille Bouix … Jules était un jardinier
hors pair, il entretenait les deux potagers de la propriété, il cultivait de
tout, de la rhubarbe aux artichauts … L’hiver, il faisait pousser des endives
et des pissenlits dans la cave de la maison… Nous avons vécu des fruits
et des légumes qu’il produisait à Vémars : tous les dimanches soirs, nous
rentrions à Paris avec des paniers toujours pleins… »
Jean Mauriac parle encore de
ce foisonnement de fleurs qui ornait des parterres entiers :
« Les plus
beaux zinnias qui soient, des lys, des iris, des glaïeuls, des pivoines, des
pois de senteur… De Pâques aux premières gelées, c’était un embaumement
permanent de fleurs…
Grâce à Jules, toujours un
odorant et majestueux bouquet ornait le vase de l’entrée, que ce soit à Vémars
ou à Paris…
Jules a été l’un de mes meilleurs amis : il m’a appris à aimer la nature, la campagne, les oiseaux… Il a tenu une très grande place dans ma vie. »
…
Quand la cloche sonnait la mort d’un Vémarois: Master, me disait-il – il m’appelait Master, il y a un temps pour tout, on ne peut pas être et avoir été… Il a fait
son temps…
Jules a été l’un de mes meilleurs amis : il m’a appris à aimer la nature, la campagne, les oiseaux… Il a tenu une très grande place dans ma vie. »
Mon voisin Mauriac
RépondreSupprimerJe me souviens gamin dans ma rue de la Croix Boissée, avoir vu certain vendredi soir la DS noire du Générale de Gaulle venant voir son ami Mauriac. Je me souviens aussi très bien de leur jardinier, Jules Woets, qui passait devant le domicile de mes parents tous les après-midi pour se rendre chez Mlle Billeau (ancien café, épicerie, bar, cinema, ….) et repassait une bonne heure après avec le teint rouge et reposé (ah ce Jules!!)