samedi 7 décembre 2013

FRANÇOIS MAURIAC À VÉMARS


PAR JEAN MAURIAC


Vémars est désormais inséparable du souvenir de François Mauriac.
La vieille maison du Val d’Oise, qui fut celle de Madame Lafon, sa belle-mère, le parc aux arbres centenaires s’insèrent dans l’univers mauriacien, aux côtés des «maisons fugitives » girondines, des pins et des vignes de sa Guyenne natale. Non qu’il y plaça jamais ses héros (à l’exception de ceux du « Fleuve de feu » et de la « Paroisse morte ») mais simplement parce que, dans la deuxième partie de sa vie, il aima Vémars, il y séjourna souvent, au point de délaisser, au moins tout à la fin de son existence, un Malagar devenu trop lointain, au climat qu’il jugeait, l’été, « abominable » et peut-être chargé de trop de souvenirs, de trop d’amour et de trop de souffrances.

C'est à Vémars que François Mauriac entendit son dernier rossignol, son dernier coucou, « qui chantait dans le jardin et dans les années», qu'il respira ses derniers lilas. Et les dernières photos que nous gardons de lui ont été prises dans ce jardin de Vémars — vaste béret basque ou chapeau de paille, lourd manteau chiné, couverture sur les genoux — attentif toujours aux odeurs, aux bruits, aux couleurs de la campagne, assis dans un fauteuil au milieu d'une prairie, sous des tilleuls bruissant d'oiseaux. « Ce beau jour d'été, dans un jardin du val d'Oise, où dès trois heures je peux m'asseoir et même rechercher le soleil... », a-t Il écrit à quelques jours de sa mort.
C'est à Vémars qu'il fit ses derniers pas, jeta un dernier regard sur le ciel et les arbres, au moment de partir pour Paris et aller mourir, quelques jours plus tard, le 1er septembre 1970, dans la chambre la plus humble du plus vétuste des hôpitaux parisiens.

François Mauriac eut jadis, à l'époque du « Fleuve de feu » (1923), de cruelles paroles pour le décor vémarois, cette « campagne empoisonnée d'engrais et où tournent les corbeaux à peine plus noirs que le ciel autour des instruments aratoires émergeant de la boue ».
Plus récemment, alors que l'on construisait L'autoroute du Nord, il a dénoncé, dans un
« Bloc-notes » célèbre (mai 1964), l'agonie, ici, à Vémars, de la nature. Il n'empêche : pour lui, le jardin aux arbres immenses demeurait intact, « gouffre odorant », « lac d'odeurs, grâce aux lilas que le soleil ne dévore pas en quelques jours, comme à Malagar ».
C'est de ce soleil dévorant, de l'embrasement des fins d'été girondines, que Vémars l'avait délivré. Et cela depuis longtemps : « Dans ce Pays du Valois, écrivait-il avant la guerre, l’été n'est que le trouble confluent du printemps de l'automne. Les dernières cerises que nous mangeons sont mouillées d'une brume qui déjà donne au matin l'odeur de la rentrée. Même au soleil, je ne puis m'étendre sur la prairie sans être saisi du froid de l'argile (…) »

François Mauriac devait connaître à Vémars lorsqu'en 1950 la maison devint la sienne, les mêmes joies — celles de l'éternelle jeunesse, que jadis à Malagar : la joie, après le prix Nobel, de bouleverser de fond en comble la maison, de se débarrasser du décor « bonbonnière du Second Empire », dont il se moquait dans une lettre à Marcel Proust («Lettres d'une Vie »), et d'y planter le sien fait de murs blancs et des tableaux qu'il aimait et dont, indéfiniment, il changeait la place. Joie de transformer un vieux potager abandonné en un petit bois qu'il baptisa : la forêt. Il surveillait la vie des pins vémarois comme, jadis, celle de ses cyprès de Malagar, avec le même amour. Et, comme à Malagar, il planta une allée de peupliers d'Italie ... Mais ce qu'il préféra peut-être dans Vémars, ce fut à la fin de sa vie ce paysage qui ne souvenait d'aucun visage détruit, une maison qu'aucun de « ses » morts n'avait habitée, où ses grands-parents, ses parents, ses frères et sa sœur n'escortaient plus de chambre en chambre, comme à Malagar.
Il fut heureux dans son cabinet de travail, « en haut de la maison avec une vue adorable sur le Valois », dans le jardin « merveille de fraîcheur, de paix, de solitude », ce jardin d'où il découvrait le cimetière voisin ancré en pleine argile, où il décida, en août 1958, de faire creuser sa tombe et où il repose pour l'éternité auprès de sa femme, presqu’à  l'ombre des arbres de « sa » forêt.

Septembre 1985
Publié avec l'aimable autorisation de Jean MAURIAC

lundi 16 septembre 2013

VEMARS 1965

                                              
                                                 (Archives Paris-Match, cliché R. Picherie)